Les jeunes et Internet
Février 2001
Faits saillants des résultats de la recherche menée au Québec
Pour consulter le document complet en format PDF
1. Internet : une virtualité devenue réalité quotidienne
- Un accès de plus en plus répandu ; une présence de plus en plus coutumière
Depuis 1997, le nombre de branchements à domicile est passé de 19 à 57 % (une augmentation moyenne de 300 %) ; le nombre de jeunes ayant déjà utilisé (au moins une fois) Internet est passé de 72 % à la quasi-totalité (99 %) ; le nombre de jeunes se déclarant usagers réguliers d'Internet (plusieurs heures et plusieurs fois par semaine) est passé de 33 à 80 %.- Pas de portrait type du jeune internaute, mais des traits dominants et des variations importantes
Les conditions et les lieux d'accès et de pratiques (le fait que le jeune dispose ou non d'un branchement chez lui ; le fait que le jeune ait l'occasion d'une pratique plus ou moins intensive à l'école) engendrent des approches d'Internet très distinctes. Le sexe, l'âge, le niveau de pratique et la familiarisation plus ou moins acquise face à Internet sont autant de variables qui influencent les modes d'usage, les objectifs recherchés et la manière de les atteindre.- Depuis 1997, pas de changements majeurs, mais des ajustements
Malgré la croissance soutenue du nombre de branchements et des facilités d'accès, nous constatons une relative constance dans le profil des perceptions et des attitudes des jeunes observés durant ces trois années. Les tendances en développement qui émergeaient dans la première étude se précisent aujourd'hui comme une réalité plus concrète et plus clairement énoncée par les jeunes eux-mêmes. Les éléments nouveaux avancés dans la présente enquête permettent de nuancer et d'affirmer davantage les résultats précédents, sans les modifier fondamentalement ni les contredire.- C'est surtout à la maison que ça se passe ; en moyenne une heure par jour
L'élément le plus déterminant des relations entre l'adolescent et Internet est incontestablement la présence ou non d'un branchement à la maison. L'accès facilité permet au jeune d'utiliser Internet beaucoup plus souvent et plus régulièrement ; la pratique est plus soutenue et plus sophistiquée. Les conditions mêmes de cet accès plus libre, plus autonome, plus individuel, diffèrent notablement de ce qu'offre le milieu scolaire.- Internet à la maison et à l'école : deux mondes différents
À la maison, on a plus facilement la liberté d'accéder à Internet quand on veut et pour y faire ce qu'on veut ; à l'école, Internet n'est accessible qu'à certaines heures pour y mener des activités bien précises et encadrées (recherche documentaire, construction de pages Web) alors que d'autres sont le plus souvent interdites (courriel, chat, téléchargement, jeux). Deux contextes d'usage différents, qui s'ignorent plus qu'ils ne se complètent.
2. La représentation d'Internet par les jeunes
- Ni enfer ni paradis : Internet ne change pas tellement le monde
Loin des discours encore de mise, souvent excessifs tant dans le panégyrique que dans l'anathème, les jeunes, autant dans la perception qu'ils ont d'Internet que dans l'usage qu'ils en font, témoignent rapidement d'une modération qui s'accorde assez logiquement avec l'impression partagée qu'Internet, quoique reconnu technologiquement comme « révolutionnaire », s'intègre facilement au quotidien et sans perturbation majeure. Face à Internet, les adolescents ont beaucoup plus conscience d'une évolution que d'une révolution.- Internet, c'est « extraordinaire », mais ce n'est pas une panacée
La très grande majorité des jeunes ont une perception extrêmement positive d'Internet ; cet outil, par les pratiques qu'il permet, leur paraît pleinement justifié et souhaitable : ceux qui y ont accès ne veulent plus s'en passer ; ceux qui n'en disposent pas aspirent à pouvoir en disposer au plus tôt. Jugement majoritairement favorable et enthousiaste donc, mais non absolu ; loin d'être une panacée, Internet possède aussi ses limites aux yeux des adolescents.- Un divertissement avant tout, mais qui peut se faire sérieux
Internet est avant tout considéré par les jeunes comme un instrument de divertissement (seuls 10 % d'entre eux pensent qu'Internet serait d'abord un outil dédié aux travaux scolaires), même s'ils en reconnaissent l'intérêt comme outil d'apprentissage et professionnel. Cette perception du divertissement recouvre autant une réelle pratique du loisir (celle du jeu ou du chat, par exemple) que celle d'activités autrement plus studieuses ou complexes (telles que la recherche documentaire et encyclopédique) mais qu'Internet permet d'aborder de façon divertissante. Cette caractérisation désigne moins ce qu'on peut faire avec Internet que la manière plaisante de le faire ; c'est là le grand attrait d'Internet.- Le réseau est immense et infini, et « tout le savoir du monde » s'y retrouve déjà
Les jeunes sont souvent convaincus qu'Internet recèle d'emblée la totalité des savoirs et de l'information disponibles — il suffit de savoir chercher — ; ils comparent volontiers le Net à une mégabibliothèque, une encyclopédie sans limites et en constante expansion.- L'information qu'on trouve sur Internet est fiable …autant que dans les autres médias
Les jeunes n'interrogent pas spontanément la crédibilité et la fiabilité de l'information ; pour eux, la question ne se pose pas plus pour Internet que pour les autres médias (le livre, la presse, la télévision…), exception faite des pages personnelles, lieu d'expression et d'opinions individuelles, dont ils reconnaissent la nature subjective. Pour le reste, ils s'en remettent au « bon sens ».- L'information est fiable, le commerce ne l'est pas
Les adolescents expriment beaucoup de méfiance et de réticence face au commerce électronique (téléachat). Et même s'ils partagent l'idée que cette fonction commerciale est appelée à se développer, très peu sont prêts actuellement à faire confiance à ce type de transaction financière. Ils sont ainsi peu nombreux à activer les encarts publicitaires.- Internet et la langue : pas d'inquiétude
L'anglais prédomine ? Il n'en tient qu'aux autres langues de prendre leur place. Déjà, en fait, il y a assez de sites en français pour ne pas se sentir « à l'étranger » sur le Web ; il y a assez de sites en français pour ne pas sentir cette langue menacée. La connaissance de l'anglais est souhaitable, mais elle n'est pas essentielle ; l'anglais est un outil utile pour naviguer sur le Web, pour se servir d'Internet; les contenus qu'on y cherche ou qu'on produit sont en français. Contrairement aux médias traditionnels (la presse, la radio, la télévision), Internet permet un « libre-échange » des langues : la question de savoir en quelle langue on navigue ne se pose pas. De même, pour les jeunes Québécois, Internet ce n'est pas québécois ni francophone ; Internet, c'est « en français ».- Internet et l'école : que l'écran n'efface pas le tableau ni le prof
Les jeunes souhaitent tous une présence renforcée d'Internet à l'école, autant comme outil d'apprentissage que parce qu'ils estiment essentiel d'en bien connaître le mode d'emploi, condition nécessaire à leur future intégration professionnelle. Les adolescents sont convaincus qu'une grande part de leur acquisition du savoir peut passer par Internet, à l'école ou ailleurs. En revanche, les jeunes sont très conscients du fait qu'Internet ne peut remplacer physiquement l'école dans sa structure classique (classe, professeur et tableau noir) ; pour eux, l'école est une occasion de socialisation que la virtualité du Net ne peut remplacer.
3. L'utilisation d'Internet par les jeunes
- Internet, ce n'est pas l'informatique
Même si l'ordinateur est commun aux deux fonctions, il s'agit pour les jeunes de deux domaines très différents. En règle générale, Internet est beaucoup plus convivial et facile à apprendre que l'informatique, et il n'est pas nécessaire de connaître cette dernière pour utiliser le Net.- La pratique évolue avec l'âge et le sexe ; elle évolue surtout avec la connaissance d'Internet
Les plus jeunes garçons jouent et téléchargent des jeux ; les plus vieux se consacrent davantage à la visite de sites et à la recherche d'informations. Les filles ont une prédilection pour le chat ; mais pas toutes… Différences marquées, certes, mais qui ont tendance à s'estomper avec le temps et la pratique régulière d'Internet. On y retrouve plutôt une variété d'usages de plus en plus individuels et personnalisés.- Malgré l'immensité du réseau, une tendance à tisser de « petites toiles personnelles »
L'usage tend à restreindre la portée du champ d'investigation. Chacun tisse sa petite toile : on ratisse les mêmes sites connus ; on chatte avec les proches ; on explore peu de nouveaux domaines.- Le plaisir d'Internet : la liberté d'avoir le contrôle
L'attrait du Net — ce qui le distingue des médias traditionnels comme la télévision, dont les « programmes sont imposés » sans interaction possible — repose sur la possibilité qu'il offre de pouvoir agir et diriger soi-même, à son gré, le mode de consultation désiré. La diversité des opérations possibles (de la navigation au téléchargement, du chat à la création de pages Web) et la variété des modes d'opérations laissent à l'internaute le pouvoir d'être « maître à bord ».- Voyage en Internet : souvent une suite de lieux sans liens
Les jeunes ont très peu souvent la mémoire des sites visités et de leurs pérégrinations sur le Net. Ils passent d'un site à un autre sans souci du « chemin » pour s'y rendre. La très grande majorité a une idée plutôt vague de l'architecture de l'ensemble ; les jeunes naviguent « sans carte » et sans crainte de se perdre. Ils privilégient le recours direct aux adresses http plutôt que l'aide des moteurs de recherche ; ils utilisent peu le marquage par signet. Une flânerie paradoxale : on emprunte le parcours le plus court sans objectif précis à atteindre. Le surfrenvoie à une consommation instantanée, éphémère et sans trace.- La pratique est individuelle, elle n'est pas solitaire
Idéalement, le jeune préfère être seul face à son écran : les parents sont très rarement conviés, les frères, sœurs ou amis sont tolérés comme une faveur qui leur serait accordée. Mais la pratique solitaire n'implique pas la solitude ni l'impression d'isolement.- On communique entre pairs à propos d'Internet, on n'en discute pas avec les parents
Les parents, une fois prise la décision d'accepter le branchement à la maison, interviennent très peu et n'exercent qu'un très faible contrôle sur l'usage que font leurs enfants d'Internet, qui, pourtant, deviennent souvent les premiers utilisateurs du Net. Les discussions sur Internet se développent majoritairement entre pairs aux dépens des relations « intergénérationnelles ».
4. L'appropriation d'Internet par les jeunes
- Un engouement modéré ; une fascination raisonnable
Les usages excessifs sont l'exception ; l'effet de dépendance est infime. La grande majorité des adolescents a une perception et une utilisation modérées et raisonnables d'Internet ; en outre, cette modération « croît avec l'usage ». Ce sont bien les jeunes qui s'approprient Internet et non Internet qui s'empare des jeunes.- Une intégration sans heurt ; une appropriation tout en douceur
« Révolutionnaire » sans révolution, Internet — malgré sa nouveauté et l'ampleur rapide de son déploiement — est remarquablement absorbé, et sans perturbations, par l'environnement normal et quotidien du jeune ; il devient vite une occupation parmi les autres. Il s'intègre aux activités courantes sans s'y substituer. Le temps consacré à Internet provoque plus un déplacement qu'un remplacement des habitudes.- Internet et les autres médias, partenaires plus qu'adversaires : une cohabitation sans expropriation
Un peu moins de télévision, un peu moins de lecture, un peu moins de sorties… le temps consacré à Internet est emprunté aux autres activités. Le plaisir de naviguer ne remplace pas les plaisirs différents que procurent la télévision, le cinéma ou la lecture. Internet n'occupe pas la place des autres médias, il s'y ajoute et les complète. Qui plus est, Internet s'entend bien avec la musique : on peut l'écouter pendant qu'on navigue, on peut la télécharger (MP3).- Internet à l'école : appropriation en cours…
C'est à l'école que plus de la moitié des jeunes ont découvert Internet. Mais, au-delà de ce rôle d'initiation, l'intégration d'Internet dans les programmes scolaires est encore très irrégulière. Malgré les investissements consentis et hormis les écoles dont l'informatique est la spécialité, la présence active d'Internet à l'école est plus souvent tributaire d'un enseignant engagé que d'une planification institutionnalisée. Appropriation en outre limitée, car les stratégies d'apprentissage développées à l'école autour d'Internet semblent, aux yeux des jeunes, confiner ces approches au milieu scolaire exclusivement, disjointes en cela du champ des pratiques extra-scolaires.
Document complet Les jeunes et Internet (représentation, utilisation et appropriation) - février 2001, 132 pages.
(jeune_internet_2001.pdf 668 ko)